Les chevaux Nokota descendent des dernières populations de chevaux libres du Dakota du Nord. Pendant au moins un siècle, ils ont vécu en liberté dans les Badlands qui entourent la Little Missouri, là où allait être créé le Parc National Theodore Roosevelt en 1950.
Lorsque le Parc a été clos, cela a accidentellement enfermé à l’intérieur un certain nombre de chevaux qui vivaient là. Malheureusement, ces chevaux n’ont pas profité d’une protection fédérale, et les autorités du Parc ont cherché par tous les moyens à les éradiquer.
Depuis 1980, deux frères, Frank et Leo Kuntz ont commencé à acheter aux autorités du Parc les chevaux capturés à l’intérieur afin d’en assurer la préservation dans leur ranch familial.

Les chevaux des plaines

Au début du XIXème siècle, les plaines du Dakota sont au centre d’importants échanges entre les populations autochtones qui vivent le long de Missouri, comme les Mandans, Hidatsas ou Arikaras et les trappeurs anglais ou français venus du Canada, puis ultérieurement avec les marchands anglais venus de l’est.
Le cheval fait alors partie des biens les plus recherchés. Les Shoshones, les Pawnees ou les Arikaras, de par leurs liens avec la côte sud ouest colonisée par les espagnols, favorisent l’arrivée de chevaux d’ascendance ibérique. Les peuples des plaines du Nord, comme les Crow ou les Lakota, constituent d’immenses troupeaux, chevaux de guerre, de transport, et de chasse au bison.
Quand les Canadiens ouvrent de nouvelles voies de commerce, ils amènent avec eux des chevaux d’origine anglaise, normande ou bretonne, qui apportent la force et la taille nécessaires pour la traction ou le débardage. Le mélange des chevaux natifs avec ces lignées a donné le cheval canadien, très apprécié, et qui a fortement influencé la création des chevaux de Ranch par sa polyvalence.
Le traité de Fort Laramie, signé en 1851, garantit aux tribus de vastes territoires couvrant les territoires actuels du Montana, Wyoming, Dakota du Nord et du Sud et Nebraska.
Les combats gagnés par le chef Red Cloud amènent à la signature d’un second traité à Fort Laramie en 1868, par des Lakota en position de force, que ce soit par rapport à l’armée américaine ou par rapport aux autres tribus ralliées à l’armée, comme les Crows ou les Arikaras.

La poussée régulière des colons, les divisions des tribus, la découverte d’or dans les Black Hills, finissent par précipiter une nouvelle guerre dont le point d’orgue sera la bataille de la Little Big Horn, qui verra l’anéantissement du détachement de cavalerie de Custer en 1876, précédé par la bataille de la Rosebud avec l’affrontement direct des 750 cavaliers Sioux, Cheyennes et Arapahos de Crazy Horse face aux 1300 hommes de l’armée américaine, qui seront contraints de se replier.
Après la bataille de la Little Big Horn, les hommes de Sitting Bull trouvent refuge au Canada, ceux qui restent sont impitoyablement traqués et leurs chevaux abattus.
L’armée américaine cherche à fixer les tribus dans les réserves en les privant de leurs moyens de transport et de chasse. La bataille de la Washita a ainsi vu l’abattage de 675 chevaux capturés aux Cheyennes de Black Kettle.


Les peintres de l’Ouest ont été fortement impressionnés par les innombrables chevaux rencontrés dans les grandes plaines, comme Charles Russel ou Georges Catlin.

Les premiers ranchers, 1880-1920

Le Marquis de Morès, flamboyant aristocrate français, ancien officier de Cavalerie de Saumur, décide en 1883 d’élever du bétail dans les Badlands du Dakota du Nord. Il fonde une ville, achète du bétail, crée des abattoirs, et dépense sans compter pour construire son empire.

Marquis de Morès

L’armée américaine met à la même époque en vente les poneys indiens qui ont été confisqués aux hommes de Sitting Bull lors de sa reddition en 1881 à Fort Buford.
Les dessins de la main même de Sitting Bull le montre sur un cheval à la face blanche et aux longues balzanes, ou sur un cheval bleu rouan, robes typiques des Nokota actuels. Ses dessins, comme ses propres descriptions, indiquent que ses montures avaient plus de taille et étaient plus massifs que les Spanish Mustangs originaire du sud ouest qui étaient jusqu’alors considérés comme le poney indien traditionnel.

Séduit par l’allure et la vigueur de ces chevaux, de Morès se porte acquéreur de ces chevaux afin de servir de monture à ses cowboys.
Il importe à grand frais des chevaux de l’est, afin d’apporter plus de force et de taille à ses chevaux. Il fait venir ainsi trois étalons, un Clysedale, un Percheron et un Pur Sang du Kentucky, tous de grande valeur.

Ruiné, le Marquis de Morès quitte le Dakota en 1886. C’est un autre rancher, A.C. Huidekoper, qui va suivre ses traces et développer l’élevage des chevaux. Il va produire jusqu’à mille chevaux par an, utilisés principalement par les cowboys pendant l’âge d’or de l’industrie du bétail.
Comme le Marquis de Morès, Huidekoper importe à grand frais de France des percherons pour apporter de la taille aux poneys indiens qui sont la souche de son élevage.
De Morès comme Huidekoper élevent leurs chevaux en open range, et les roundups permettent de regrouper régulièrement les chevaux à vendre.
Il appelle ses chevaux “American Horses”, et les vend comme chevaux de selle, mais aussi comme poneys de Polo. Les élites de Chicago se passionnent pour ce sport et sont prêts à acheter très cher un bon poney.

Theodore Roosevelt, le futur président des Etats-Unis, a vécu entre 1883 et 1886 dans les Badlands de la Little Missouri, il écrit :

“In a great many–indeed, in most–localities there are wild horses to be found, which, although invariably of domestic descent, being either themselves runaways from some Indian or ranch outfit, or else claiming such as their sires and dams, are yet quite as wild as the antelope on whose range they have intruded.”
(Dans un grand nombre de localités, et même dans la plupart, on trouve des chevaux sauvages qui, bien qu’invariablement de descendance domestique, soit étant eux-mêmes des fuyards d’un groupe indien ou d’un ranch, soit l’étant par leurs pères et leurs mères, sont pourtant tout aussi sauvages que l’antilope dans l’aire de répartition de laquelle ils se sont introduits.)

Lorsque les opérations s’arrêtent dans les années 1920, les chevaux survivent dans les rudes paysages des Badlands, cachés au fond des canyons. Ils échappent ainsi à l’extinction des mustangs dans les plaines du Nord pendant la Grande Dépression, où ils étaient abattus pour leur viande.

En liberté dans les Badlands, 1920-1980

Lorsque l’immense Parc National Theodore Roosevelt est créé et clôturé à la fin des années 1940, ces chevaux se retrouvent pris à l’intérieur. Entre 1950 et 1970, les autorités du Parc tentent d’en retirer les chevaux. Ils obtiennent également que les chevaux du Parc échappent à la protection fédérale accordée aux mustangs dans les années 1959 et 1971. L’extraordinaire capacité de survie de ces chevaux leur permettent de survivre à toutes les tentatives pour les extraire du Parc.
Enfin, dans les années 1970, l’opposition publique à cette politique et le sentiment grandissant qu’il faut préserver cet héritage historique des années d’élevage en open range, finissent par convaincre le parc de laisser subsister une petite troupe de chevaux, et des round-up périodiques et la vente des chevaux capturés sont organisés pour contenir le nombre de cette population.
Malheureusement, dans les années 1980, les administrateurs du Parc décident d’introduire des étalons étrangers au Parc (Quarter horse, arabes, mustangs BLM, bucking horses). Les étalons originaux du Parc sont abattus, et la plupart des chevaux sont capturés et vendus à cette époque.

Lorsque le Dr Castle Mc Laughlin, anthropologue à Harvard, est mandatée pour étudier l’histoire du Parc en 1986, elle découvre le lien entre les chevaux du parc et les chevaux de Sitting Bull.
Elle rencontre Frank et Leo Kuntz, deux frères qui achètent alors des chevaux capturés dans le Parc afin de les croiser avec les Pur Sang et les Quarter Horse qu’il élèvent dans leur ranch. Ils espèrent alors obtenir des chevaux plus robustes pour les utiliser dans des courses de cross country alors très populaires, mais où leurs chevaux s’avéraient trop fragiles.

Capture de Nacona, étalon dominant du Parc, 1986 (Photo Castle McLaughin)

Lorsqu’ils prennent conscience de l’importance historique de ces chevaux, Ils décident d’acheter aux enchères le maximum de chevaux sortis du Parc afin de leur offrir un sanctuaire dans leur ranch familial. Ils les nomment Nokota, contraction de North Dakota.

Leo Kuntz et Bad Toe à Medora, son premier Nokota, 1986 (Photo Castle McLaughin)

En plus des centaines de chevaux appartenant aux frères Kuntz, le Nokota Horse Conservancy est créé, et prend en charge une centaine de ces chevaux. Le Conservatoire lève des fonds, et un studbook répertorie l’ensemble des chevaux extraits du Parc et leurs descendants. Il y a environ un millier de Nokota aux USA, répartis entre les élevages de Frank Kuntz, du Nokota Horse Conservancy, et différents propriétaires, cavaliers ou éleveurs. En France, le Nokota-Ranch, créé par François Marchal, importe ses 4 premiers chevaux en 2007, et développe la race. Par la suite, d’autres éleveurs viennent se joindre au projet. Aujourd’hui, il y a environ 70 Nokota en France, une trentaine au Danemark et autant en Suède. Pour les Lakota, dans leur tradition orale, le cheval a toujours fait partie de leur vie. Frank et Leo Kuntz ont toujours affirmé que ce cheval était très différent de tout ce qu’ils connaissaient. Une première étude génétique menée dans les années 80 par le Dr Sponenberg, spécialiste du Spanish Colonial Mustang, ne relève pas la présence de sang ibérique dans le Nokota. Pour lui, malgré des similitudes de couleur de robe ou d’allure, il n’est pas apparenté aux chevaux espagnols amenés par les Conquistadores. Plus récemment, des études sur la génétique du Nokota ont apporté deux informations importantes. La première montre que ces chevaux forment une race distincte, avec un grand nombre de marqueurs génétiques communs. Le deuxième point intrigant, c’est que l’on ne retrouve que très peu de marqueurs les apparentant aux chevaux européens, mais des ressemblances lointaines avec des chevaux russes ou chinois, ou encore norvégiens (des chevaux apportés par les Vikings ?). Ludovic Orlando, directeur de recherche au CNRS, a mis en évidence la présence du cheval dans les plaines du Nord avant la colonisation européenne, à rebours du récit officiel qui les voulaient tous amenés par les colons. Tout cela fait du Nokota un cheval infiniment précieux, et c’est notre devoir de le protéger et d’assurer sa préservation. François Marchal, @Nokota-Ranch, élevage de chevaux Nokota Président du Nokota Horse Conservancy France https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/03/31/l-histoire-cachee-du-cheval-de-l-ouest-americain_6167714_1650684.html https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30067807/ https://www.livescience.com/indigenous-people-of-the-american-west-used-sacred-horses-a-half-century-earlier-than-previously-thought https://www.centerforamericasfirsthorse.org/north-american-colonial-spanish-horse.html https://www.nokotahorse.org/the-nokotareg-timeline.html